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Leroux est timide aussi, je l’ai vu, et j’oserais davantage avec celui-là ; mais comment l’aborder, comment le retenir quelques heures ? Ne va-t-il pas nous rire au nez comme les autres, si nous lui posons la question sociale ?

— Moi, je m’en charge, dit Planet, j’oserai fort bien, et si je le fais rire, peu m’importe, pourvu qu’il m’instruise. Écrivez-lui et demandez-lui pour moi, pour un meunier de vos amis, pour un bon paysan, le catéchisme du républicain en deux ou trois heures de conversation. J’espère que moi je ne l’intimiderai pas, et vous aurez l’air d’écouter par-dessus le marché. »

J’écrivis dans ce sens, et Pierre Leroux vint dîner avec nous deux dans la mansarde. Il fut d’abord fort gêné : il était trop fin pour n’avoir pas deviné le piége innocent que je lui avais tendu, et il balbutia quelque temps avant de s’exprimer. Il n’est pas plus modeste que M. Lamennais, il est timide ; M. Lamennais ne l’était pas. Mais la bonhomie de Planet, ses questions sans détour, son attention à écouter et sa facilité à comprendre le mirent à l’aise, et quand il eut un peu tourné autour de la question, comme il fait souvent quand il parle, il arriva à cette grande clarté, à ces vifs aperçus et à cette véritable éloquence qui jaillissent de lui comme de grands éclairs d’un nuage imposant. Nulle instruction n’est plus précieuse que la sienne quand on ne le tourmente pas trop pour formuler ce