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pas entrer dans la maturité du caractère, grâce à une modestie incomparable ? N’êtes-vous pas ému quand vous voyez le lion de l’Atlas dominé et persuadé par le petit chien compagnon de sa captivité ? Lamennais semblait ignorer sa force, et je crois qu’il ne se faisait aucune idée de ce qu’il était pour ses contemporains et pour la postérité. Autant il avait la notion de son devoir, de sa mission, de son idéal, autant il s’abusait sur l’importance de sa vie intérieure et individuelle. Il la croyait nulle et allait la livrant au hasard des influences et des personnes du moment. Le moindre cuistre eût pu l’émouvoir, l’irriter, le troubler et, au besoin, lui persuader d’agir ou de s’abstenir dans la sphère de ses goûts les plus purs et de ses habitudes les plus modestes. Il daignait répondre à tous, consulter les derniers de tous, discuter avec eux, et parfois les écouter avec la naïve admiration d’un écolier devant un maître.

Il résulta de cette touchante faiblesse, de cette humilité extrême, quelques malentendus dont souffrirent ses vrais amis. Quant à moi, ce n’est pas à ma personnalité que la grande individualité de Lamennais s’est jamais heurtée, c’est à mes tendances socialistes. Après m’avoir poussée en avant, il a trouvé que je marchais trop vite. Moi, je trouvais qu’il marchait parfois trop lentement à mon gré. Nous avions raison tous les deux à notre point de vue : moi, dans mon petit