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M. Lamennais ne sortait jamais d’un monde exploré, par la porte de l’orgueil, du caprice ou de la curiosité. Non ! Il en était chassé par un élan suprême de tendresse froissée, de pitié ardente, de charité indignée. Son cœur disait alors probablement à sa raison :

« Tu as cru être là dans le vrai. Tu avais découvert ce sanctuaire, tu croyais y rester toujours. Tu ne pressentais rien au delà, tu avais fait ton siége, tiré les rideaux et fermé la porte. Tu étais sincère, et pour te fortifier dans ce que tu croyais bon et définitif, comme dans une citadelle, tu avais entassé sur ton seuil tous les argumens de ta science et de ta dialectique. — Eh bien ! tu t’étais trompée ! car voilà que des serpens habitaient avec toi, à ton insu. Ils s’étaient glissés, froids et muets, sous ton autel, et voilà que, réchauffés, ils sifflent et relèvent la tête. Fuyons, ce lieu est maudit et la vérité y serait profanée. Emportons nos lares, nos travaux, nos découvertes, nos croyances ; mais allons plus loin, montons plus haut, suivons ces esprits qui s’élèvent en brisant leurs fers ; suivons-les pour leur bâtir un autel nouveau, pour leur conserver un idéal divin, tout en les aidant à se débarrasser des liens qu’ils traînent après eux, et à se guérir du venin qui les a souillés dans les horreurs de cette prison. »

Et ils s’en allaient de compagnie, ce grand cœur et cette généreuse raison qui se cédaient