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manière. Du moins je me disais que les futurs occupans n’y retrouveraient peut-être jamais une heure du loisir assuré et de la rêverie complète que j’y goûtais chaque jour, du matin à la nuit. Tout était mien en ce lieu, les tas de planches qui me servaient de siéges et de lits de repos, les araignées diligentes qui établissaient leurs grandes toiles avec tant de science et de prévision d’une corniche à l’autre ; les souris mystérieusement occupées à je ne sais quelles recherches actives et minutieuses dans les copeaux ; les merles du jardin qui, venus insolemment sur le seuil, me regardaient, immobiles et méfians tout à coup, et terminaient leur chant insoucieux et moqueur sur une modulation bizarre, écourtée par la crainte. J’y descendais quelquefois le soir, non plus pour écrire, mais pour respirer et songer sur les marches du perron. Le chardon et le bouillon blanc avaient poussé dans les pierres disjointes ; les moineaux, réveillés par ma présence, frôlaient le feuillage des buissons dans un silence agité, et les bruits des voitures, les cris du dehors arrivant jusqu’à moi, me faisaient sentir davantage le prix de ma liberté et la douceur de mon repos.

Quand mon roman fut fini, je rouvris ma porte à mon petit groupe d’amis. C’est à cette époque, je crois, que je me liai avec Charles d’Arragon, un être excellent et du plus noble caractère, puis avec M. Artaud, un homme très