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plus imprévoyant surtout du mal qu’il creusait en lui et dont, à chaque effort de la vie, il croyait le retour impossible. Il courait aux réunions ardentes où s’agitait la question de la défense des accusés, et après des discussions passionnées, il revenait s’évanouir chez lui avant dîner, quand on ne l’y apportait pas évanoui déjà dans la voiture. Mais alors c’était l’affaire de quelques instans de pâleur livide et de sourds gémissemens. Il se ranimait comme par un miracle de la nature ou de la volonté, il revenait parler et rire avec nous, car, au milieu de cette excitation et de cet affaissement successifs, il se jetait dans la gaîté avec l’insouciance et la candeur d’un enfant.

Tant de contrastes m’émouvaient et m’arrachaient à moi-même. Je m’attachais par le cœur à cette nature qui ne ressemblait à rien, mais qui avait pour les moindres soins, pour la moindre sollicitude, des trésors de reconnaissance. Le charme de sa parole me retenait des heures entières, moi que la parole fatigue extrêmement, et j’étais dominée aussi par un vif désir de partager cette passion politique, cette foi au salut général, ces vivifiantes espérances d’une prochaine rénovation sociale, qui semblaient devoir transformer en apôtres, même les plus humbles d’entre nous.

Mais j’avoue qu’après cette causerie du pont des Saints-Pères, et cette déclamation anti-