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l’homme de génie qui, au lieu de me montrer le repos et le bonheur dans l’étouffement des préoccupations immédiates, s’attachait à m’émouvoir pour me diriger, c’était Éverard, expression lui-même du trouble généreux des passions, des idées et des erreurs du moment.

Depuis quelques jours que nous nous étions retrouvés à Paris, lui et moi, toute ma vie avait déjà changé de face. Je ne sais si l’agitation qui régnait dans l’air que nous respirions tous aurait beaucoup pénétré sans lui dans ma mansarde ; mais avec lui elle y était entrée à flots. Il m’avait présenté son ami intime, Girerd (de Nevers), et les autres défenseurs des accusés d’avril, choisis dans les provinces voisines de la nôtre. Un autre de ses amis, Degeorges (d’Arras), qui devint aussi le mien, Planet, Emmanuel Arago, et deux ou trois autres amis communs complétaient l’école. Dans la journée, je recevais mes autres amis. Peu d’entre eux connaissaient Éverard ; tous ne partageaient pas ses idées ; mais ces heures étaient encore agitées par la discussion des choses du dehors, et il n’y avait guère moyen de ne pas s’oublier soi-même absolument dans cet accès de fièvre que les événemens donnaient à tout le monde.

Éverard venait me chercher à six heures pour dîner dans un petit restaurant tranquille avec nos habitués, en pique-nique. Nous nous promenions le soir tous ensemble, quelquefois en