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avec anxiété jusqu’où ils pousseraient l’audace des résolutions prises. Dans les salons même où leurs doctrines n’étaient pas admises, leur intrépidité touchait le cœur des femmes ; prisonniers, ils gouvernaient irrésistiblement l’opinion ; absens, ils vivaient dans toutes les pensées. Pourquoi s’en étonner ? Ils avaient pour eux, chez une nation généreuse, toutes les sortes de puissance : le courage, la défaite et le malheur. Époque orageuse et pourtant regrettable ! Comme le sang bouillonnait alors dans nos veines ! Comme nous nous sentions vivre ! Comme elle était bien ce que Dieu l’a faite, cette nation française qui périra sans doute le jour où lui manqueront tout à fait les émotions élevées ! Les politiques à courte vue s’alarment de l’ardeur des sociétés : ils ont raison ; il faut être fort pour diriger la force. Et voilà pourquoi les hommes d’État médiocres s’attachent à énerver un peuple. Ils le font à leur taille, parce qu’autrement ils ne le pourraient conduire. Ce n’est pas ainsi qu’agissent les hommes de génie. Ceux-là ne s’étudient point à éteindre les passions d’un grand peuple ; car ils ont à les féconder, et ils savent que l’engourdissement est la dernière maladie d’une société qui s’en va. »

Cette page me semble avoir été écrite pour moi, tant elle résume ce qui se passait en moi et autour de moi. J’étais, dans mon petit être, l’expression de cette société qui s’en allait, et