Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 10a13 1855 Gerhard.djvu/424

Cette page n’a pas encore été corrigée

l’esprit des adeptes, et d’autant plus que les adeptes sont ou deviennent plus forts que le maître.

Je ne veux pas analyser et critiquer ici la doctrine de Babeuf. Je ne veux la montrer que dans ses résultats possibles, et comme Éverard, le plus illogique des hommes de génie dans l’ensemble de sa vie, était le plus implacable logicien de l’univers dans chaque partie de sa science et dans chaque phase de sa conviction, il n’est pas indifférent d’avoir à constater qu’elle le jetait, à l’époque que je raconte, dans des aberrations secrètes et dans un rêve de destruction colossale.

J’avais passé le mois précédent à lire Éverard et à lui écrire. Je l’avais revu dans cet intervalle, je l’avais pressé de questions, et, pour mieux mettre à profit le peu de temps que nous avions, je n’avais plus rien discuté. J’avais tâché de construire en moi l’édifice de sa croyance, afin de voir si je pouvais me l’assimiler avec fruit. Convertie au sentiment républicain et aux idées nouvelles, on sait maintenant de reste que je l’étais d’avance. J’avais gagné à entendre cet homme, véritablement inspiré en certains momens, de ressentir de vives émotions que la politique ne m’avait jamais semblé pouvoir me donner. J’avais toujours pensé froidement aux choses de fait ; j’avais regardé couler autour de moi, comme un fleuve lourd et troublé, les mille accidens de l’histoire générale contemporaine,