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Les manières brusques, le sans-gêne, la franchise acerbe d’Éverard n’étaient qu’une apparence, et, avouons-le, une affectation devant les gens hostiles, ou qu’il supposait tels à première vue. Il était par nature la douceur, l’obligeance et la grâce même : attentif au moindre désir, au moindre malaise de ceux qu’il aimait, tyrannique en paroles, débonnaire dans la tendresse quand on ne résistait pas à ses théories d’autorité absolue.

Cet amour de l’autorité n’était cependant pas joué. C’était le fond, c’était les entrailles même de son caractère, et cela ne diminuait en rien ses bontés et ses condescendances paternelles. Il voulait des esclaves, mais pour les rendre heureux, ce qui eût été une belle et légitime volonté s’il n’eût eu affaire qu’à des êtres faibles. Mais il eût sans doute voulu travailler à les rendre forts, et dès lors ils eussent cessé d’être heureux en se sentant esclaves.

Ce raisonnement si simple n’entra jamais dans sa tête ; tant il est vrai que les plus belles intelligences peuvent être troublées par quelque passion qui leur retire, sur certains points, la plus simple lumière.

Arrivée à l’auberge de Bourges, je commençai par dîner, après quoi j’envoyai dire à Éverard par Planet que j’étais là, et il accourut. Il venait de lire Lélia et il était toqué de cet ouvrage. Je lui racontai tous mes ennuis, toutes mes tristesses, et le consultai beaucoup moins sur mes