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physique. Éverard[1] était une organisation admirable. Mais Éverard était malade, Éverard ne devait pas, ne pouvait pas vivre. La poitrine, l’estomac, le foie étaient envahis. Malgré une vie sobre et austère, il était usé, et à cette réunion de facultés et de qualités hors ligne, dont chacune avait sa logique particulière, il manquait fatalement la logique générale, la cheville ouvrière des plus savantes machines humaines, la santé.

Ce fut précisément cette absence de vie physique qui me toucha profondément. Il est impossible de ne pas ressentir un tendre intérêt pour une belle âme aux prises avec les causes d’une inévitable destruction, quand cette âme ardente et courageuse domine à chaque instant son mal et paraît le dominer toujours. Éverard n’avait que trente-sept ans, et son premier aspect était celui d’un vieillard petit, grêle, chauve et voûté ; le temps n’était pas venu où il voulut se rajeunir, porter une perruque, s’habiller à la mode et aller dans le monde. Je ne l’ai jamais vu ainsi : cette phase d’une transformation qu’il dépouilla tout à coup, comme il l’avait revêtue, ne s’est pas accomplie sous mes yeux. Je ne le regrette pas ; j’aime mieux conserver son image

  1. Je lui conserverai dans ce récit le pseudonyme que je lui ai donné dans les Lettres d’un voyageur. J’ai toujours aimé à baptiser mes amis d’un nom à ma guise, mais dont je ne me rappelle pas toujours l’origine.