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marcherait sur ses pieds bon gré, mal gré. Elle parut se soumettre ; mais, arrivée à la grille, quand il la prit dans ses bras pour la faire descendre, il s’aperçut qu’elle était sans souliers : elle les avait adroitement détachés et jetés dans la rue avant d’arriver. « À présent, lui dit-elle, vois si tu veux me faire marcher pieds nus. »

Souvent, quand j’étais dehors avec elle, il lui passait par l’esprit de s’arrêter court et de ne vouloir ni marcher ni monter en voiture, ce qui ameutait les passans autour de nous. Elle avait sept ou huit ans, qu’elle me faisait encore de ces tours-là, et qu’il me fallait la porter malgré elle du bas de l’escalier à la mansarde, ce qui n’était pas une petite affaire. Et le pire, c’est que ces humeurs bizarres n’avaient aucune cause que je pusse prévoir d’avance et deviner ensuite. Elle-même ne s’en rend pas compte aujourd’hui ; c’était comme une impossibilité naturelle de se plier à l’impulsion d’autrui, et je ne pouvais pas m’habituer à briser par la rigueur cette incompréhensible résistance.

Je me décidai donc à me séparer de ma fille pour quelque temps ; mais quoiqu’il me fût bientôt prouvé qu’elle acceptait plus volontiers la règle générale que la règle particulière, et qu’elle était heureuse en pension, ce fut pour moi un profond chagrin de voir que son bonheur d’enfant ne lui venait pas de moi. J’en fus d’autant plus disposée,