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à mes personnages la contention dominante de mon propre cerveau. C’est bien possible, mais je ne vois pas trop comment j’eusse pu faire pour ne pas écrire avec le propre sang de mon cœur et la propre flamme de ma pensée.

On s’est souvent moqué de moi autour de moi. Je ne demandais pas mieux. Qu’importe ! J’aime à rire aussi à mes heures, et il n’est rien qui repose l’âme tendue vers le spectacle des choses abstraites comme de se moquer de soi-même dans l’entr’acte. J’ai vécu plus souvent avec les personnes gaies qu’avec les personnes graves, depuis mon âge mûr surtout, et j’aime les caractères artistes, les intelligences d’instinct. Leur commerce habituel est beaucoup plus doux que celui des penseurs obstinés. Quand on est, comme moi, moitié mystique (j’accepte le mot de Buloz), moitié artiste, on n’est pas de force à vivre avec les apôtres du raisonnement pur, sans risquer d’y devenir fou ; mais aussi, après des jours passés dans le délicieux oubli des choses dogmatiques, on a besoin d’une heure pour les écouter ou pour les lire.

Voilà pourquoi j’ai fait fatalement des romans dont une partie plaît aux uns et déplaît aux autres ; voilà surtout ce qui, en dehors de toute influence des chagrins positifs, explique la tristesse et la gaîté des Lettres d’un voyageur.

J’approche du moment où ma vue s’ouvrit sur une perspective nouvelle, la politique. J’y