Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 10a13 1855 Gerhard.djvu/388

Cette page n’a pas encore été corrigée

sentiment sans raison qu’à quinze ans je reprochais à Dieu, avec une sorte de colère impie, les heures de fatigue et de langueur où il semblait me retirer sa grâce. C’est encore par le sentiment sans raison qu’à trente ans, je voulais mourir, disant : Dieu ne m’aime pas et ne se soucie pas de moi, puisqu’il me laisse faible, ignorant et malheureux sur la terre.

Je suis encore ignorante et faible ; mais je ne suis plus malheureuse, parce que je suis moins orgueilleuse qu’alors. J’ai reconnu que j’étais peu de chose : raison, sentiment, instinct réunis, cela fait encore un être si fini et une action si bornée, qu’il faut en revenir à l’humilité chrétienne jusqu’à ce point de dire :

« Je sens vivement, je comprends fort peu et j’aime beaucoup. »

Mais il faut quitter l’orthodoxie catholique quand elle dit : Je prétends sentir et aimer sans rien comprendre. Cela est possible, je n’en doute pas, mais cela ne suffit pas à accomplir la volonté de Dieu, qui veut que l’homme comprenne autant qu’il lui est donné de comprendre.

En résumé, s’efforcer d’aimer Dieu en le comprenant, et s’efforcer de le comprendre en l’aimant ; s’efforcer de croire ce que l’on ne comprend pas, mais s’efforcer de comprendre pour mieux croire, voilà tout Leibnitz, et Leibnitz est le plus grand théologien des siècles de lumière. Je ne l’ai jamais ouvert, depuis dix ans, sans trouver, dans celles de ses pages où il se met à