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mon travail de chaque jour, je ne pourrai consacrer au moins quelques années à la réflexion et à la lecture.

Cela ne m’arrivera pas : je mourrai dans le nuage épais qui m’enveloppe et m’oppresse. Je ne l’ai déchiré que par momens, et, dans des heures d’inspirations plus que d’étude, j’ai aperçu l’idéal divin comme les astronomes aperçoivent le corps du soleil à travers les fluides embrasés qui le voilent de leur action impétueuse et qui ne s’écartent que pour se resserrer de nouveau. Mais c’est assez peut-être, non pour la vérité générale, mais pour la vérité à mon usage, pour le contentement de mon pauvre cœur ; c’est assez pour que j’aime ce Dieu, que je sens là, derrière les éblouissemens de l’inconnu, et pour que je jette au hasard dans son mystérieux infini l’aspiration à l’infini qu’il a mise en moi et qui est une émanation de lui-même. Quelle que soit la route de ma pensée, clairvoyance, raison, poésie ou sentiment, elle arrivera bien à lui, et ma pensée parlant à ma pensée est encore avec quelque chose de lui.

Que vous dirai-je, cœurs amis qui m’interrogez ? J’aime, donc je crois. Je sens que j’aime Dieu de cet amour désintéressé que Leibnitz nous dit être le seul vrai et qui ne se peut assouvir sur la terre, puisque nous aimons les êtres de notre choix par besoin d’être heureux, et nos semblables comme nous aimons nos enfans, par