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de ma vie et n’en être pas le personnage réel, mais le personnage pensant et analysant. Et encore, tout en étant ce personnage, je voulais étendre son point de vue à une expérience de malheur que je n’avais pas, que je ne pouvais pas avoir.

Je prévis bien que la fiction n’empêcherait pas le public de vouloir chercher et définir mon moi réel à travers le masque du vieillard. Il fut ainsi pour quelques lecteurs, et un avocat trop intelligent voulut, dans mon procès en séparation, me rendre responsable, en tant que partie adverse, de tout ce que j’avais fait dire au voyageur. Du moment que je parlais à la première personne, cela lui suffisait pour m’accuser de tout ce dont le pauvre voyageur s’accuse à un point de vue poétique et métaphorique. J’avais des vices, j’avais commis des crimes, n’était-ce pas évident ? Le voyageur, le vieil oncle, ne présentait-il point sa vie passée comme un abîme d’enivremens, et sa vie présente comme un abîme de remords ? En vérité, si j’avais pu, en moins de quatre ans, car il n’y avait pas quatre ans que j’avais quitté le bercail où la rigidité de ma vie avait été facile à constater ; si j’avais pu en si peu d’années acquérir toute l’expérience du bien et du mal que s’attribuait mon voyageur, je serais un être fort extraordinaire, et, en tout cas, je n’aurais pas vécu au fond d’une mansarde comme je l’avais fait, entourée de cinq ou six