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refroidis, séparés, perdus de vue. Je ne sais pas comment il parle de moi aujourd’hui ; je sais seulement que je peux parler de lui à ma guise.

Je ne dirai pas comme Montesquieu ;

« Ne nous croyez pas quand nous parlons l’un de l’autre ; nous sommes brouillés. »

— Je me sens plus forte que cela, à cette heure où je résume ma vie avec le même calme et le même esprit de justice que si j’étais avec la pleine possession de ma lucidité, in articulo mortis.

Je regarde donc dans le passé, et j’y vois entre Didier et moi quelques mois de dissentiment et quelques mois de ressentiment. Puis, pour ma part, de longues années de cet oubli qui est ma seule vengeance des chagrins que l’on m’a causés, avec ou sans préméditation. Mais, en deçà de ces malentendus et de ce parti pris, je vois cinq ou six années d’une amitié pure et parfaite. Je relis des lettres d’une admirable sagesse, les conseils d’un vrai dévoûment, les consolations d’une intelligence des plus élevées. Et maintenant que le temps de l’oubli est passé pour moi, maintenant que je sors de ce repos volontaire, nécessaire peut-être, de ma mémoire, ces années bénies sont là, devant moi, comme la seule chose utile et bonne que j’aie à constater et à conserver dans mon cœur.

Charles Didier était un homme de génie, non pas sans talent, mais d’un talent très inférieur à son génie. Il se révélait par éclairs, mais je ne sache