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attirées : on ne doit rien faire pour les ennemis ; mais je sentais bien que son commerce me nuisait intérieurement. Son humeur mélancolique, ses théories de dégoût universel, son aversion pour le laisser-aller de l’esprit aux choses faciles et agréables dans les arts, enfin la tension de raisonnement et la persistance d’analyse qu’il fallait avoir quand on causait avec lui, me jetaient, à mon tour, dans une sorte de spleen auquel je n’étais que trop disposée à l’époque où je le connus. Je voyais en lui une intelligence éminente qui s’efforçait généreusement de me faire part de ses conquêtes, mais qui les avait amassées au prix de son bonheur, et j’étais encore dans l’âge où l’on a plus besoin de bonheur que de savoir.

Le quereller sur la cause fatale de sa tristesse, cause tout à fait mystérieuse qui doit tenir à son organisation et que je n’ai jamais pénétrée, parce qu’il ne la pénétrait sans doute pas lui-même, eût été injuste et cruel ; je ne voulus donc pas entamer de ces discussions profondes qui achèvent de tuer le moral quand elles ne le sauvent pas. Je n’étais pas d’ailleurs dans une position apostolique. Je me sentais abattue et brisée moi-même, car c’était le temps où j’écrivais Lélia, évitant soigneusement de dire à Planche le fond de mon propre problème, tant je craignais de le lui voir résoudre par une désespérance sans appel, et ne m’entretenant avec lui que de la forme et de la poésie de mon sujet.