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En résumé, trop de cœur pour son esprit et trop d’esprit pour son cœur, voilà comment je m’expliquai cette nature éminente, et, sans oser affirmer aujourd’hui que je l’ai bien comprise, je m’imagine toujours que ce résumé est la clef de ce que son talent offre d’original et de mystérieux. Peut-être que si ce talent fût laissé être faible, maladroit et fatigué à ses heures, il aurait pris des revanches d’autant plus éclatantes ; mais bien qu’il aimât ce laisser-aller dans l’œuvre des autres, il n’a pas consenti à être inégal, et il s’est maintenu excellent. Ceux qui ont entrevu dans un artiste quelque chose de plus ému et de plus pénétrant que ce qu’il a consenti à exprimer dans son œuvre générale se permettent quelque regret. Ils ont eu pour cet artiste plus d’ambition qu’il ne s’en est permis à lui-même. Mais le public n’est pas obligé de savoir que les œuvres qui le charment et l’instruisent ne sont souvent que le débordement d’un vase qui a retenu le plus précieux de sa liqueur. C’est d’ailleurs un peu notre histoire à tous. L’âme renferme toujours le plus pur de ses trésors comme un fonds de réserve qu’elle doit rendre à Dieu seul, et que les épanchemens des tendresses intimes font seuls pressentir. On est même effrayé quand le génie réussit à se produire tout entier sous une forme arrêtée ; on craint qu’il ne se soit épuisé dans cet effort suprême, car l’impuissance de se manifester complétement est un bienfait du ciel