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problème de la raison en le compliquant. Il voyait le bonheur dans l’absence d’illusions et d’entraînement ; et puis tout aussitôt, il voyait l’ennui, le dégoût et le spleen dans l’exercice de la logique pure. Il éprouvait le besoin des grandes émotions : il convenait que s’y soustraire par crainte du désenchantement est un métier de dupe, puisque les petites émotions inévitables nous tuent en détail ; mais il voulait gouverner et raisonner les passions en les subissant. Il voulait qu’on pardonnât aux illusions de ne pouvoir pas être complètes, oubliant, ce me semble, que si elles ne sont pas complètes, elles ne sont pas du tout, et que les amis, les amans, les philosophes qui voient quelque chose à pardonner à leur idéal ne sont déjà plus en possession de la foi, mais qu’ils sont tout simplement dans l’exercice de la vertu et de la sagesse.

Croire ou aimer par devoir m’a toujours révoltée comme un paradoxe. On peut agir dans le fait comme si on croyait ou comme si on aimait : voilà, en certains cas, le devoir. Mais du moment qu’on ne croit plus à l’idée ou qu’on n’aime plus l’être, c’est le devoir seul que l’on suit et que l’on aime.

Sainte-Beuve avait bien trop d’esprit pour se poser de la sorte une prescription impossible ; mais quand il arrivait à philosopher sur la pratique de la vie, je ne sais si je me trompais, mais je croyais le voir tourner dans ce cercle infranchissable.