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a bien prouvé que son talent n’en a pas souffert, mais à son propre bonheur. J’entends par ce mot de bonheur, non pas une rencontre ou une réunion de faits qu’il n’est au pouvoir d’aucun homme de faire surgir et de gouverner, mais une certaine source de foi et de sérénité intérieure qui, pour être intermittente, et souvent troublée par le contact des choses extérieures, n’en est pas moins intarissable au fond de l’âme. Le seul bonheur que Dieu nous ait accordé, et dont on puisse oser, sans folie, lui demander la continuation, c’est de sentir qu’au milieu des accidens et des catastrophes de la vie commune, on est en possession de certaines joies intimes et pures qui sont bien l’idéal de celui qui les savoure. Dans l’art comme dans la philosophie, dans l’amour comme dans l’amitié, dans toutes ces choses abstraites dont les événemens ne peuvent nous ôter le sentiment ou le rêve, l’âge ou l’expérience prématurée nous apportent ce bienfait de nous mettre d’accord un jour ou l’autre avec nous-mêmes.

Probablement ce jour est venu pour Sainte-Beuve ; mais je l’ai vu longtemps aussi tourmenté que je l’étais alors, quoiqu’il eût infiniment plus de science, de raison et de force défensive contre la douleur. Il enseignait la sagesse avec une éloquence convaincante, et il portait cependant en lui le trouble des âmes généreuses inassouvies.

Il me semblait alors qu’il voulait résoudre le