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qui communiquent les uns avec les autres par un admirable mécanisme. Un grand esprit qui se livre à nous nous donne à respirer comme un bouquet de fleurs où certains parfums, qui nous seraient nuisibles isolés, nous charment et nous raniment par leur mélange avec les autres parfums qui les modifient.

Ces réflexions me viennent à propos d’Eugène Delacroix. Je pourrais les appliquer à beaucoup d’autres natures éminentes que j’ai eu le bonheur d’apprécier sans qu’elles m’aient causé aucun souci en me contredisant et même en se moquant de moi à l’occasion. J’ai été tenace dans ma résistance à certains de leurs dires, mais tenace aussi dans mon affection pour elles et dans ma reconnaissance pour le bien qu’elles m’ont fait en excitant en moi le sentiment de moi-même. Elles me regardent comme une rêveuse incorrigible ; mais elles savent que je suis une amie fidèle.

Le grand maître dont je parle est donc mélancolique et chagrin dans sa théorie, enjoué, charmant, bon enfant au possible dans son commerce. Il démolit sans fureur et raille sans fiel, heureusement pour ceux qu’il critique ; car il a autant d’esprit que de génie, chose à quoi l’on ne s’attend pas en regardant sa peinture, où l’agrément cède la place à la grandeur, et où la maestria n’admet pas la gentillesse et la coquetterie. Ses types sont austères ; on aime à les