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en creusant entre les deux forces de la révolution, peuple et bourgeoisie, un abîme que vingt années ne suffiront peut-être pas à combler, j’étais à Nohant, très menacée par les haines lâches et les imbéciles terreurs de la province. Je ne m’en souciais pas plus que de tout ce qui m’avait été personnel dans les événemens. Mon âme était morte, mon espoir écrasé sous les barricades.

Au milieu de cet abattement, je reçus de Marie Dorval la lettre que voici :

« Ma pauvre bonne et chère amie, je n’ai pas osé t’écrire : je te croyais trop occupée ; et d’ailleurs je ne le pouvais pas ; dans mon désespoir, je t’aurais écrit une lettre trop folle. Mais, aujourd’hui, je sais que tu es à Nohant, loin de notre affreux Paris, seule avec ton cœur si bon et qui m’a tant aimée ! J’ai lu, à travers mes larmes, ta lettre à ***. Je t’y retrouve toujours tout entière, comme dans le roman du Champi. — Pauvre Champi ! — Alors j’ai eu absolument besoin de t’écrire pour obtenir de toi quelques paroles de consolation pour ma pauvre âme désolée. — J’ai perdu mon fils, mon Georges ! — le savais-tu ? — Mais tu ne sais pas la douleur profonde, irréparable que je ressens. — Je ne sais que faire, que croire ! Je ne comprends pas que Dieu nous enlève d’aussi chères créatures. Je veux prier Dieu, et je ne sens que de la colère et de la révolte dans mon cœur. Je passe ma vie