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son air, ni dans sa voix. Pourtant, elle avait dit les vers de Ponsard avec une si grande intelligence, elle avait été si chaste et si sobre dans Lucrèce, que le public fut curieux de lui entendre dire les vers de Racine. Elle étudia Phèdre avec un soin infini, cherchant consciencieusement une interprétation nouvelle.

Au milieu de ces études, elle me parla d’elle-même avec la modestie naïve qui n’appartient qu’au génie.

« Je n’ai pas, disait-elle, la prétention de trouver mieux que n’a fait Rachel, mais je peux trouver autre chose. Le public ne s’attend pas à me la voir imiter, je ne serais que sa parodie ; mais il doit s’intéresser à moi dans ce rôle, non pas à cause de l’actrice, mais à cause de Racine. Il ne s’agit pas de retrouver l’intention première du poète : il n’y a rien de puéril comme les recherches de la vraie tradition. Il s’agit de faire valoir la beauté de la pensée et le charme de la forme, en montrant qu’elles se prêtent à toutes les natures et peuvent être exprimées par les types les plus opposés.

Elle fit, en effet, des prodiges d’intelligence et de passion dans ce rôle. Pour quiconque n’eût pas vu Rachel, elle eût marqué dans les annales du théâtre, par cette création que, du reste, Rachel ne possédait pas, à cette époque, avec autant de perfection qu’aujourd’hui. Elle était trop jeune, et la première jeunesse ne peut secouer les apparences de la retenue et de la crainte,