il est écœurant. Tu creuses la raison de tes tristesses, et quand tu la tiens, voilà que ton parti est pris. Tu te tires de tout en disant : « C’est comme cela et ne peut être autrement. »
Voilà, moi, comme je voudrais pouvoir dire. Et puis, tu crois qu’il y a une vérité, une justice, un bonheur quelque part ; tu ne sais pas où, cela ne te fait rien. Tu crois qu’il n’y a qu’à mourir pour entrer dans quelque chose de mieux que la vie. Tout cela, je le sens d’une manière vague ; mais je le désire plus que je ne l’espère. »
Puis s’interrompant tout à coup :
« Qu’est-ce que c’est qu’une abstraction ? me dit-elle. Je lis ce mot-là dans toutes sortes de livres, et plus on me l’explique, moins je comprends. »
Je ne lui eus pas répondu deux mots que je vis qu’elle comprenait mieux que moi, car elle s’imaginait que j’avais du génie, et c’est elle qui en avait.
« Eh bien ! reprit-elle avec feu, une idée abstraite n’est rien pour moi. Je ne peux pas mettre mon cœur et mes entrailles dans mon cerveau. Si Dieu a le sens commun, il veut qu’en nous, comme en dehors de nous, chaque chose soit à sa place et y remplisse sa fonction. Je peux comprendre l’abstraction Dieu et contempler un instant l’idée de la perfection à travers une espèce de voile, mais cela ne dure pas assez pour me charmer. Je sens le besoin d’aimer, et que le diable m’emporte si je peux aimer une abstraction !