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me voilà, je rêve trop et je rêve mal. Je voudrais voir le ciel ou l’enfer, croire au Dieu et au diable de mon enfance, me sentir victorieuse d’un combat quelconque, et découvrir un paradis, une récompense. Eh bien, je ne vois rien qu’un nuage, un doute. Je m’efforce par momens de me sentir dévote. J’ai besoin de Dieu ; mais je ne le comprends pas sous la forme que la religion lui donne. Il me semble que l’Église est aussi un théâtre, et qu’il y a là des hommes qui jouent un rôle. Tiens, ajouta-t-elle en me montrant une jolie réduction en marbre blanc de la Madeleine de Canova, je passe des heures à regarder cette femme qui pleure, et je me demande pourquoi elle pleure, si c’est du repentir d’avoir vécu ou du regret de ne plus vivre. Longtemps je ne l’ai étudiée que comme un modèle de pose, à présent je l’interroge comme une idée. Tantôt elle m’impatiente, et je voudrais la pousser pour la forcer à se relever ; tantôt elle m’épouvante, et j’ai peur d’être brisée aussi sans retour.

— Je voudrais être toi, reprit-elle, en réponse aux réflexions que les siennes me suggéraient.

— Moi, je t’aime trop pour te souhaiter cela, lui dis-je. Je ne m’ennuie pas, dans le sens que tu dis, depuis aujourd’hui ni depuis hier, mais depuis l’heure où je suis venue au monde.

— Oui, oui, je sais cela, s’écria-t-elle : mais c’est un fort ennui, ou un ennui fort, comme tu voudras. Le mien est plus mou que douloureux,