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gâté, les deux sœurs aînées s’étaient amusées à en être jalouses.

Mais Caroline était bonne ; elle chérissait sa mère : elle méritait d’être heureuse, et elle le fut. Après que sa sœur Louise fut mariée, elle se maria, à son tour, avec Réné Luguet, un jeune acteur en qui Mme Dorval pressentit un talent vrai, une âme généreuse, un caractère sûr.

Je vis cependant Mme Dorval triste et abattue pendant les premiers mois de cette nouvelle vie qui se faisait autour d’elle. Elle était souvent malade. Un jour je la trouvai au fond de son appartement de la rue du Bac, courbée et comme brisée sur un métier à tapisserie.

« Je suis cependant heureuse, me dit-elle en pleurant de grosses larmes. Eh bien, je souffre, et je ne sais pas pourquoi. Les affections ardentes m’ont usée avant l’âge. Je me sens vieille, fatiguée. J’ai besoin de repos, je cherche le repos, et voilà ce qui m’arrive : je ne sais pas me reposer. »

Puis elle entra dans le détail de sa vie intime.

« J’ai rompu violemment, me dit-elle, avec les souffrances violentes. Je veux vivre du bonheur des autres, faire ce que tu m’as dit, m’oublier moi-même. J’aurais voulu aussi me rattacher à mon art, l’aimer ; mais cela m’est impossible. C’est un excitant qui me ramène au besoin de l’excitation, et, ainsi excitée à demi, je n’ai plus que le sentiment de la douleur, les affreux souvenirs, et, pour toute diversion au passé, les mille coups