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idéale beauté. Je ne la vis pas trois fois sans m’apercevoir qu’elle était jalouse de sa mère et qu’elle ne songeait qu’à secouer son autorité. Mme Dorval ne voulait pas entendre parler de théâtre pour ses filles.

« Je sais trop ce que c’est ! »

disait-elle ; et, dans ce cri, il y avait toutes les terreurs et toutes les tendresses de la mère.

Gabrielle ne se gêna pas pour me dire que sa mère redoutait sur la scène le voisinage de sa jeunesse et de sa beauté. Je l’en repris, et elle me témoigna très naïvement sa colère et son aversion pour quiconque donnait raison contre elle à sa mère. Je fus surprise de voir tant d’amertume cachée sous cette figure d’ange, pour laquelle je m’étais sentie prévenue, et qui, en me donnant sa confiance, s’était imaginée apparemment que j’abonderais dans son sens.

Peu de temps après, Gabrielle s’éprit d’un homme de lettres de quelque talent, F***, qui faisait de petits articles dans la Revue des Deux-Mondes, sous le nom de lord Feeling. Mais ce talent était d’une mince portée et d’un emploi à peu près nul, commercialement parlant. F…… ne possédait rien, et, de plus, il était phthisique.

Mme Dorval voulut l’éloigner ; Gabrielle, irritée, l’accusa de vouloir le lui enlever.

« Ah ! s’écriait la pauvre mère blessée et consternée, voilà l’exécrable rengaine ? des filles jalouses ! On veut les empêcher de courir à leur perte, on a le cœur brisé d’être forcé de briser le leur, et pour vous