il arriva, avec le temps, à me faire tellement sentir la supériorité de sa raison et de son intelligence, que j’en fus longtemps écrasée et comme hébétée devant le monde. Je ne m’en plaignis pas. Deschartres m’avait habituée à ne pas contredire violemment l’infaillibilité d’autrui, et ma paresse s’arrangeait fort bien de ce régime d’effacement et de silence.
Aux approches de l’hiver, comme Mme Du Plessis allait à Paris, nous nous consultâmes mon mari et moi sur la résidence que nous choisirions ; nous n’avions pas le moyen de vivre à Paris, et, d’ailleurs, nous n’aimions Paris ni l’un ni l’autre. Nous aimions la campagne ; mais nous avions peur de Nohant ; peur probablement de nous retrouver vis-à-vis l’un de l’autre, avec des instincts différens à tous autres égards et des caractères qui ne se pénétraient pas mutuellement. Sans vouloir nous rien cacher, nous ne savions rien nous expliquer ; nous ne nous disputions jamais sur rien ; j’ai trop horreur de la discussion pour vouloir entamer l’esprit d’un autre ; je faisais, au contraire, de grands efforts pour voir par les yeux de mon mari, pour penser comme lui et agir comme il souhaitait. Mais, à peine m’étais-je mise d’accord avec lui, que, ne me sentant plus d’accord avec mes propres instincts, je tombais dans une tristesse effroyable.
Il éprouvait probablement quelque chose d’analogue sans s’en rendre compte, et il abondait