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il pardonne, il soutient, il nourrit les uns et élève les autres. Quelque sage qu’il soit, ses appointemens ne suffisent qu’à la condition d’un travail terrible, car l’artiste ne peut vivre avec la parcimonie que le petit commerçant et l’humble bourgeois savent mettre dans leur existence. L’artiste a des besoins d’élégance et de salubrité dont le citadin sordide ne recule pas à priver ses enfans et lui-même. Il a le sentiment du beau, par conséquent la soif d’une vraie vie. Il lui faut un rayon de soleil, un souffle d’air pur, qui, si mesuré qu’il soit, devient chaque jour d’un prix plus exorbitant dans les villes populeuses.

Et puis, l’artiste sent vivement les besoins de l’intelligence. Il ne vit, il ne grandit que par là. Son but n’est pas d’amasser une petite rente pour doter ses enfans ; il faut que ses enfans soient élevés en artistes pour le devenir à leur tour. On veut pour les siens ce que l’on possède soi-même, et parfois on le veut d’autant plus qu’on en a été privé et qu’on s’est miraculeusement formé à la vie intellectuelle par des prodiges de volonté. On sait ce qu’on a souffert, et, comme on a risqué d’échouer, on veut épargner à ses enfans ces dangers et ces épreuves. Ils seront donc élevés et instruits comme les enfans du riche ; et cependant on est pauvre : la moyenne des appointemens des artistes un peu distingués de Paris est de cinq mille francs par an. Pour arriver à huit ou dix mille, il faut déjà avoir un