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attrait, celui qui attire la souffrance, vers la souffrance et la tendresse du cœur, vers l’abîme des cœurs navrés.

Lorsque je la connus, elle était dans tout l’éclat de son talent et de sa gloire. Elle jouait Antony et Marion Delorme.

Avant de prendre la place qui lui était due, elle avait passé par toutes les vicissitudes de la vie nomade. Elle avait fait partie de troupes ambulantes dont le directeur proposait une partie de dominos sur le théâtre, à l’amateur le plus fort de la société, pour égayer l’entr’acte. Elle avait chanté dans les chœurs de Joseph, grimpée sur une échelle et couverte d’un parapluie pour quatre, la coulisse du théâtre (c’était une ancienne église) étant tombée en ruines, et les choristes étant obligés de se tenir là sur une brèche masquée de toiles, par une pluie battante. Le chœur avait été interrompu par l’exclamation d’un des coryphées, criant à celui qui était sur l’échelon au dessus de lui :

« Animal, tu me crèves l’œil avec ton parapluie ! À bas le parapluie ! »

À quatorze ans, elle jouait Fanchette dans le Mariage de Figaro, et je ne sais plus quel rôle dans une autre pièce. Elle ne possédait au monde qu’une robe blanche qui servait pour les deux rôles. Seulement, pour donner à Fanchette une tournure espagnole, elle cousait une bande de calicot rouge au bas de sa jupe, et la décousait vite après la pièce, pour avoir l’air de mettre un