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Il est étrange que je me sois attachée longtemps et toujours à cette nature poignante qui agissait sur moi, non pas d’une manière funeste (Marie Dorval aimait trop le beau et le grand pour ne pas vous y rattacher, même dans ses heures de désespoir), mais qui me communiquait ses abattemens, sans pouvoir me communiquer ses renouvellemens soudains et vraiment merveilleux. J’ai toujours cherché les âmes sereines, ayant besoin de leur patience et désirant l’appui de leur sagesse. Avec Marie Dorval, j’avais un rôle tout opposé, celui de la calmer et de la persuader ; et ce rôle m’était bien difficile, surtout à l’époque où, troublée et effrayée de la vie jusqu’à la désespérance, je ne trouvais rien de consolant à lui-dire qui ne fût démenti en moi par une souffrance moins expansive, mais aussi profonde que les siennes.

Et pourtant ce n’était pas par devoir seulement que j’écoutais sans me lasser sa plainte passionnée et incessante contre Dieu et les hommes. Ce n’était pas seulement le dévoûment de l’amitié qui m’enchaînait au spectacle de ses tortures ; j’y trouvais un charme étrange, et, dans ma pitié, il y avait un respect profond pour ces trésors de douleur qui ne s’épuisaient que pour se renouveler.

À très peu d’exceptions près, je ne supporte pas longtemps la société des femmes ; non pas que je les sente inférieures à moi par l’intelligence :