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et de recoins charmans, je m’impatientais et je m’effrayais de la misère bien réelle où j’allais tomber et de l’impossibilité de partir, dont je ne voyais pas arriver le terme. J’écrivais en vain à Paris, j’allais en vain chaque jour à la poste ; rien n’arrivait. J’avais envoyé des volumes ; je ne savais pas seulement si on les avait reçus. Personne à Venise ne connaissait peut-être l’existence de la Revue des Deux-Mondes.

Un jour que je n’avais plus rien, littéralement rien, et qu’ayant dîné pour moins que rien, je me prélassais encore dans ma gondole, jouissant de mon reste, puisque la quinzaine était payée d’avance, tout en réfléchissant à ma situation et en me demandant, avec une mortelle répugnance, si j’oserais la confier à une seule des personnes, en bien petit nombre, que je connaissais à Venise ; une tranquillité singulière me vint tout à coup à l’idée, saugrenue, mais nette et fixe, que j’allais rencontrer, le jour même, à l’instant même, une personne de mon pays, qui, connaissant mon caractère et ma position, me tirerait d’embarras sans m’en faire éprouver aucun à lui emprunter le nécessaire. Dans cette conviction non raisonnée, à coup sûr, mais complète, j’ouvris la jalousie et me mis à regarder attentivement toutes les figures des gondoles qui croisaient la mienne sur le canal Saint-Marc. Je n’en vis aucune de ma connaissance ; mais l’idée persistant, j’entrai au jardin public, cherchant les groupes