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À ma fièvre succéda un grand malaise et d’atroces douleurs de tête que je ne connaissais pas, et qui se sont installées, depuis lors, dans mon cerveau en migraines fréquentes et souvent insupportables. Je ne comptais rester dans cette ville que peu de jours et en Italie que peu de semaines, mais des événemens imprévus m’y retinrent davantage.

Alfred de Musset subit bien plus gravement que moi l’effet de l’air de Venise qui foudroie beaucoup d’étrangers, on ne le sait pas assez[1]. Il fit une maladie grave ; une fièvre typhoïde le mit à deux doigts de la mort. Ce ne fut pas seulement le respect dû à un beau génie qui m’inspira pour lui une grande sollicitude et qui me donna, à moi très malade aussi, des forces inattendues ; c’était aussi les côtés charmans de son caractère et les souffrances morales que de certaines luttes entre son cœur et son ima-

  1. Géraldy, le chanteur, était à Venise à la même époque, et fit, en même temps qu’Alfred de Musset, une maladie non moins grave. Quant à Léopold Robert, qui s’y était fixé et qui s’y brûla la cervelle peu de temps après mon départ, je ne doute pas que l’atmosphère de Venise, trop excitante pour certaines organisations, n’ait beaucoup contribué à développer le spleen tragique qui s’était emparé de lui. Pendant quelque temps, je demeurai vis-à-vis de la maison qu’il occupait, et je le voyais passer tous les jours sur une barque qu’il ramait lui-même. Vêtu d’une blouse de velours noir et coiffé d’une toque pareille, il rappelait les peintres de la Renaissance. Sa figure était pâle et triste, sa voix rêche et