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alarmes du courrier, nous ne fîmes d’autre rencontre que celle d’un petit volcan que je pris pour une lanterne allumée auprès de la route, et que cet homme appelait avec emphase il monte fuoco.

Je ne pus rien voir à Ferrare et à Bologne : j’étais complétement abattue. Je m’éveillai un peu au passage du Pô, dont l’étendue, à travers de vastes plaines sablonneuses, a un grand caractère de tristesse et de désolation. Puis je me rendormis jusqu’à Venise, très peu étonnée de me sentir glisser en gondole, et regardant, comme dans un mirage, les lumières de la place Saint-Marc se refléter dans l’eau, et les grandes découpures de l’architecture byzantine se détacher sur la lune, immense à son lever, fantastique elle-même à ce moment-là plus que tout le reste.

Venise était bien la ville de mes rêves, et tout ce que je m’en étais figuré se trouva encore au-dessous de ce qu’elle m’apparut, et le matin et le soir, et par le calme des beaux jours et par le sombre reflet des orages. J’aimai cette ville pour elle-même, et c’est la seule au monde que je puisse aimer ainsi, car une ville m’a toujours fait l’effet d’une prison que je supporte à cause de mes compagnons de captivité. À Venise on vivrait longtemps seul, et l’on comprend qu’au temps de sa splendeur et de sa liberté, ses enfans l’aient presque personnifiée dans leur amour et l’aient chérie non pas comme une chose, mais comme un être.