Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 10a13 1855 Gerhard.djvu/240

Cette page n’a pas encore été corrigée

Elles mouillent la page que tu lis et ne font pas revivre un seul homme immolé par la haine !

Tu es dévoué, actif, ardent ; tu parles, tu écris, tu agis de toutes tes forces sur les esprits qui veulent bien t’écouter. On te jette des pierres et de la boue : n’importe, tu es courageux, tu persévères ! Hélas ! pauvre martyr, tu mourras à la peine, et ta dernière prière sera encore pour des hommes que d’autres hommes font souffrir !

Eh bien, il n’est pas nécessaire d’être un saint pour vivre ainsi de la vie des autres et pour sentir que le mal général empoisonne et flétrit le bonheur personnel. Tous, oui, tous, nous subissons cette douleur commune à tous, et ceux qui semblent s’en préoccuper le moins s’en préoccupent encore assez pour en redouter le contre-coup sur l’édifice fragile de leur sécurité. Cette préoccupation augmente de jour en jour, d’heure en heure, à mesure que le monde s’éclaire, se communique sa vie et se sent vibrer d’un bout à l’autre comme une chaîne magnétique. Deux personnes ne se rencontrent pas, trois hommes ne se trouvent pas réunis, sans que, du chapitre des intérêts particuliers, on ne passe vite à celui des intérêts généraux pour s’interroger, se répondre et se passionner. Le paysan lui-même, ce type d’insouciance et de dédain pour tout ce qui est au delà de son champ, veut savoir aujourd’hui si de l’autre côté de sa