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Mais il est une douleur plus difficile à supporter que toutes celles qui nous frappent à l’état d’individu. Elle a pris tant de place dans mes réflexions, elle a eu tant d’empire sur ma vie, jusqu’à venir empoisonner mes phases de pur bonheur personnel, que je dois bien la dire aussi !

Cette douleur, c’est le mal général : c’est la souffrance de la race entière, c’est la vue, la connaissance, la méditation du destin de l’homme ici-bas. On se fatigue vite de se contempler soi-même. Nous sommes de petits êtres sitôt épuisés, et le roman de chacun de nous est si vite repassé dans sa propre mémoire ! À moins de se croire sublime, peut-on n’examiner et ne contempler que son moi ? D’ailleurs, qui est-ce qui se trouve sublime de bien bonne foi ? Le pauvre fou qui se prend pour le soleil et qui, de sa triste loge, crie aux passans : Prenez garde à l’éclat de mes rayons !

Nous n’arrivons à nous comprendre et à nous sentir vraiment nous-mêmes qu’en nous oubliant, pour ainsi dire, et en nous perdant dans la grande conscience de l’humanité. C’est alors qu’à côté de certaines joies et de certaines gloires dont le reflet nous grandit et nous transfigure, nous sommes saisis tout à coup d’un invincible effroi et de poignans remords en regardant les maux, les crimes, les folies, les injustices, les stupidités, les hontes de cette nation qui couvre