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que la raison doit les apprécier, sitôt qu’elle reprend son empire. Je vois dans mon passé, comme dans celui de tous les êtres aimans que j’ai connus, des déchiremens terribles, des déceptions accablantes, des heures d’agonie véritable ; mais je fais la part de la personnalité, qui est violente dans la jeunesse. C’est le propre de la jeunesse de vouloir saisir et fixer le rêve du bonheur. Si elle y renonçait facilement, si elle ne le poursuivait avec âpreté, si au lendemain d’une catastrophe, elle ne se relevait du désespoir avec une assurance nouvelle, si elle ne vivait de chimères, de croyances ardentes, de dévoûmens enthousiastes, d’amers dédains, de chaudes indignations, en un mot de tous les abattemens et de tous les renouvellemens de la volonté, elle ne serait pas la jeunesse, et cette fatalité qui la pousse à découvrir le monde de son imagination et l’idéal de son cœur à travers l’imminence des naufrages, c’est presque un droit qu’elle exerce, puisque c’est une loi qu’elle subit.

Mais tout cela, vu à distance, rentre dans le monde des songes évanouis. Nul de nous ne regrette d’être délivré de ses maux, et nul de nous cependant ne regrette de les avoir éprouvés. Tous nous savons qu’il faut vivre quand on est dans la force des émotions, parce qu’il faut avoir vécu quand on est dans la force de la réflexion. Il ne faut regretter des épreuves