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une amertume extrême. On voulut voir des portraits dans tous les personnages, des révélations personnelles dans toutes les situations ; on alla jusqu’à interpréter dans un sens vicieux et obscène des passages écrits avec la plus grande candeur, et je me souviens que, pour comprendre ce que l’on m’accusait d’avoir voulu dire, je fus forcée de me faire expliquer des choses que je ne savais pas.

Je ne fus pas très sensible à ce déchaînement de la critique et aux ignobles calomnies qu’il souleva. Ce que l’on sait complétement faux n’inquiète guère. On sent que cela tombera de soi-même dans les bons esprits, si tant est que les bons esprits puissent se tromper sur l’intention et sur les tendances d’un livre.

Je m’étonnai seulement, et maintenant encore je m’étonne des inimitiés personnelles que soulève l’émission des idées. Je n’ai jamais compris qu’on fût l’ennemi d’un artiste qui pense et crée dans un sens opposé à celui que l’on a ou que l’on aurait choisi. Que l’on discute et combatte le but de son œuvre, je le conçois ; mais que l’on altère, de propos délibéré, cette pensée pour la rendre condamnable ; que l’on dénature le texte même par de fausses citations ou des comptes-rendus infidèles ; que l’on calomnie la vie de l’auteur pour injurier sa personne ; qu’on le haïsse à travers son livre : voilà encore une des énigmes de la vie que je n’ai pas résolues et que je