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C’est sous le coup de cet abattement profond que j’écrivis Lélia, à bâtons rompus et sans projet d’en faire un ouvrage ni de le publier. Cependant, quand j’eus lié ensemble, au hasard d’une donnée de roman, un assez grand nombre de fragmens épars, je les lus à Sainte-Beuve, qui m’encouragea à continuer et qui conseilla à Buloz de m’en demander un chapitre pour la Revue des Deux-Mondes. Malgré ce précédent, je n’étais pas encore décidée à faire de cette fantaisie un livre pour le public. Il portait trop le caractère du rêve, il était trop de l’école de Corambé pour être goûté par de nombreux lecteurs. Je ne me pressais donc pas, et j’éloignais de moi, à dessein, la préoccupation du public, éprouvant une sorte de soulagement triste à céder à l’imprévu de ma rêverie, et m’isolant même de la réalité du monde actuel, pour tracer la synthèse du doute et de la souffrance, à mesure qu’elle se présentait à moi sous une forme quelconque.

Ce manuscrit traîna un an sous ma plume, quitté souvent avec dédain et souvent repris avec ardeur. C’est, je crois, un livre qui n’a pas le sens commun au point de vue de l’art, mais qui n’en a été que plus remarqué par les artistes, comme une chose d’inspiration spontanée dans le détail. J’ai écrit deux préfaces à ce livre, et j’ai dit là tout ce que j’avais à en dire. Je n’y reviendrai donc pas inutilement. Le succès de la forme fut très grand. Le fond fut critiqué avec