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gagner à tout prix : je n’ai même pas su en gagner beaucoup, tout en travaillant avec une persévérance soutenue. J ai su en perdre, par conséquent en refuser à ceux qui m’en demandaient, plutôt que d’en arracher rigoureusement à ceux qui m’en devaient, et que j’aurais réduits à la gêne. Les relations pécuniaires sont établies de telle sorte que l’assistance envers les uns pourrait bien, si l’on n’y prenait garde, être le dépouillement cruel des autres. Que faire de mieux ? Je ne sais pas. Si je le savais, je l’aurais fait, car mon intention est très droite. Mais je ne vois pas, et je n’ai pas trouvé le moyen de rendre mon dévouement utile à mes semblables dans de grandes proportions, et je ne peux pas attribuer cette impossibilité à l’insuffisance de mes ressources. Qu’elles s’étendissent à des sommes beaucoup plus considérables, le nombre des infortunés à ma charge n’eût fait que s’accroître, et des millions de louis dans mes mains eussent amené des millions de pauvres autour de moi. Où serait la limite ? MM. de Rothschild donnant leur fortune aux indigens, détruiraient-ils la misère ? On sait bien que non. Donc la charité individuelle n’est pas le remède, ce n’est même pas un palliatif. Ce n’est pas autre chose qu’un besoin moral qu’on subit, une émotion qui se manifeste et qui n’est jamais satisfaite.

J’ai donc des raisons d’expérience, des raisons puisées dans mes propres entrailles, pour ne pas