Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 10a13 1855 Gerhard.djvu/222

Cette page n’a pas encore été corrigée

le monde et suffire, par un travail forcé et une abnégation sans limites, à détruire la misère et tous les vices qu’elle engendre, ceux-là devraient s’estimer heureux et fiers de leur mission, et l’espoir du succès en attirerait un plus grand nombre à la gloire et à la joie du sacrifice. Mais cet abîme de la misère n’est pas de ceux que les dieux consentent à fermer quand il a englouti quelque holocauste. Il est sans fond, et il faut qu’une société entière y précipite ses offrandes pour le combler un instant. Dans l’état des choses, il semble même que les dévouemens partiels le creusent et l’agrandissent, puisque l’aumône avilit, en condamnant celui qui compte sur elle à l’abandon de soi-même.

On a retiré au clergé, aux communautés religieuses les immenses biens qu’ils possédaient ; on a tenté, dans une grande révolution sociale, de créer une caste de petits propriétaires actifs et laborieux à la place d’une caste de mendians inertes et nuisibles. Donc l’aumône ne sauvait pas la société, même exercée en grand par un corps constitué et considérable ; donc les richesses consacrées à l’aumône étaient loin de suffire, puisque ces richesses, mobilisées et distribuées sous une autre forme, ont laissé l’abîme béant et la misère pullulante. Et l’on voit qu’en me servant de cet exemple, je suppose que tout a été pour le mieux, que le clergé et les couvens n’ont jamais employé leurs biens qu’à faire l’aumône,