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Ce ne fut qu’en ouvrant ma pensée au rêve d’une grande réforme sociale que je me consolai, par la suite, de l’étroitesse et de l’impuissance de mon dévouement. Je m’étais dit, avec tant d’autres, que certaines bases sociales étaient indestructibles, et que le seul remède contre les excès de l’inégalité était dans le sacrifice individuel, volontaire. Mais c’est la porte ouverte aux égoïstes aussi bien qu’aux dévoués, cette théorie de l’aumône particulière. On y entre tout entier ou on fait semblant d’y entrer. Personne n’est là pour constater que vous êtes dedans ou dehors. Il y a bien une loi religieuse qui vous prescrit de donner, non pas votre superflu, mais jusqu’au nécessaire ; il y a bien une opinion qui conseille la charité : mais il n’est pas de pouvoir constitué qui vous contraigne et qui contrôle l’étendue et la réalité de vos dons[1]. Dès lors, vous êtes libre de tricher l’opinion, d’être athée devant Dieu et hypocrite devant les hommes. La misère est à la merci de la conscience de chaque individu ; et tandis que des courages naïfs s’immolent avec excès, des esprits froids et positifs s’abstiennent de les seconder, et leur laissent porter un fardeau impossible.

Oui, impossible ! Car s’il en était autrement, si une poignée de bons serviteurs pouvait sauver

  1. En signalant ce fait, je n’entends pas dire que l’aumône forcée fût une solution sociale. On le verra tout à l’heure.