Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 10a13 1855 Gerhard.djvu/22

Cette page n’a pas encore été corrigée

chevaux hors de service, renouvelé toutes choses, en un mot. C’était mieux, à coup sûr. Tout cela d’ailleurs occupait et satisfaisait mon mari. J’approuvais tout et n’avais raisonnablement rien à regretter ; mais l’esprit a ses bizarreries. Quand cette transformation fut opérée, quand je ne vis plus le vieux Phanor s’emparer de la cheminée et mettre ses pattes crottées sur le tapis, quand on m’apprit que le vieux paon qui mangeait dans la main de ma grand’mère ne mangerait plus les fraises du jardin, quand je ne retrouvai plus les coins sombres et abandonnés où j’avais promené mes jeux d’enfant et les rêveries de mon adolescence, quand, en somme, un nouvel intérieur me parla d’un avenir où rien de mes joies et de mes douleurs passées n’allait entrer avec moi, je me troublai, et sans réflexion, sans conscience d’aucun mal présent, je me sentis écrasée d’un nouveau dégoût de la vie qui prit encore un caractère maladif.

Un matin, en déjeunant, sans aucun sujet immédiat de contrariété, je me trouvai subitement étouffée par les larmes. Mon mari s’en étonna. Je ne pouvais rien lui expliquer, sinon que j’avais déjà éprouvé de semblables accès de désespoir sans cause, et que probablement j’étais un cerveau faible ou détraqué. Ce fut son avis, et il attribua au séjour de Nohant, à la perte encore trop récente de ma grand’mère dont tout le monde l’entretenait d’une façon attristante, à