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comme publiciste, poète, romancier, historien, philosophe, critique, voyageur, etc., a passé par les mains de Buloz, homme intelligent, qui ne sait pas s’exprimer, mais qui a une grande finesse sous sa rude écorce. Il est très facile, trop facile même de se moquer de ce Genevois têtu et brutal. Lui-même se laisse taquiner avec bonhomie quand il n’est pas de trop mauvaise humeur ; mais ce qui n’est pas facile, c’est de ne pas se laisser persuader et gouverner par lui. Il a tenu dix ans les cordons de ma bourse, et, dans notre vie d’artiste, ces cordons, qui ne se desserrent pour nous donner quelques heures de liberté qu’en échange d’autant d’heures d’esclavage, sont les fils de notre existence même.

Dans cette longue association d’intérêts, j’ai bien envoyé dix mille fois mon Buloz au diable, mais je l’ai tant fait enrager que nous sommes quittes. D’ailleurs, en dépit de ses exigences, de ses duretés et de ses sournoiseries, le despote Buloz a des momens de sincérité et de véritable sensibilité, comme tous les bourrus. Il avait de certaines menues ressemblances avec mon pauvre Deschartres, voilà pourquoi j’ai supporté si longtemps ses maussaderies entremêlées de mouvemens d’amitié candide. Nous nous sommes brouillés, nous avons plaidé. J’ai reconquis ma liberté sans dommage réciproque, résultat auquel nous serions arrivés sans procès, s’il eût pu dépouiller son entêtement. Je l’ai revu peu de