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j’en suis un. Il m’en faut d’ailleurs pour faire ressortir mes êtres vulgaires, et je ne les sacrifie jamais sans nécessité. Mais ces êtres vulgaires m’intéressent plus qu’ils ne vous intéressent. Je les grandis, je les idéalise, en sens inverse, dans leur laideur ou leur bêtise. Je donne à leurs difformités des proportions effrayantes ou grotesques. Vous, vous ne sauriez pas ; vous faites bien de ne pas vouloir regarder des êtres et des choses qui vous donneraient le cauchemar. Idéalisez dans le joli et dans le beau, c’est un ouvrage de femme. »

Balzac me parlait ainsi sans dédain caché et sans causticité déguisée. Il était sincère dans le sentiment fraternel, et il a trop idéalisé la femme pour qu’on puisse le soupçonner d’avoir eu jamais la théorie de M. Kératry.

Balzac, esprit vaste, non pas infini et sans défauts, mais le plus étendu et le plus pourvu de qualités diverses qui, dans le roman, se soit produit de notre temps, Balzac, maître sans égal en l’art de peindre la société moderne et l’humanité actuelle, avait mille fois raison de ne pas admettre un système absolu. Il ne m’a rien révélé de cela alors que je cherchais, et je ne lui en veux pas, il ne le savait pas lui-même ; il cherchait et tâtonnait aussi pour son compte. Il a essayé de tout. Il a vu et prouvé que toute manière était bonne et tout sujet fécond pour un esprit souple comme le sien. Il a développé