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jeter les yeux, et remettait l’exemplaire au premier venu de ses rédacteurs en lui disant :

« Avalez la médecine ; vous êtes jeune, elle ne vous tuera pas. Dites de l’ouvrage ce que vous voudrez, je ne veux pas savoir ce que c’est. »

— Mais quand on lui apportait le compte-rendu, il critiquait la critique avec une netteté qui prouvait qu’il avait le premier avalé la médecine et même savouré l’âcre saveur qui le tentait.

J’eusse été bien sotte de ne pas écouter tout ce que me disait Delatouche, mais cette perpétuelle analyse de toutes choses, cette dissection des autres et de lui-même, toute cette critique brillante et souvent juste, qui aboutissait à la négation de lui-même et des autres, attristaient singulièrement mon esprit, et tant de lisières commençaient à me donner des crampes. J’apprenais tout ce qu’il ne faut pas faire, rien de ce qu’il faut faire, et je perdais toute confiance en moi.

Je reconnaissais, je reconnais encore que Delatouche me rendait grand service en m’amenant à hésiter. À cette époque, on faisait les choses les plus étranges en littérature. Les excentricités du génie de Victor Hugo, jeune, avaient enivré la jeunesse, ennuyée des vieilles rengaines de la Restauration. On ne trouvait plus Chateaubriand assez romantique ; c’était tout au plus si le maître nouveau l’était assez pour les appétits féroces qu’il avait excités. Les marmots de sa propre