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raison à son ressentiment, et Balzac me disait souvent :

« Gare à vous ! vous verrez qu’un beau matin sans vous en douter, sans savoir pourquoi, vous trouverez en lui un ennemi mortel. »

Delatouche eut évidemment tort à mes yeux en décriant Balzac, qui ne parlait de lui qu’avec regret et douceur ; mais Balzac eut tort de croire à une inimitié irréconciliable. Il eût pu le ramener avec le temps.

C’était trop tôt alors. J’essayai en vain plusieurs fois de dire à Delatouche ce qui pouvait les rapprocher. La première fois il sauta au plafond.

« Vous l’avez donc vu ? s’écria-t-il ; vous le voyez donc ? Il ne me manquait plus que ça ! »

Je crus qu’il allait me jeter par les fenêtres. Il se calma, bouda, revint, et finit par me passer mon Balzac, en voyant que cette sympathie n’enlevait rien à celle qu’il réclamait. Mais, à chaque nouvelle relation littéraire que je devais établir ou accepter, Delatouche devait entrer dans les mêmes colères, et même les indifférens lui paraissaient des ennemis s’ils ne m’avaient pas été présentés par lui.

Je parlai fort peu de mes projets littéraires à Balzac. Il n’y crut guère, ou ne songea pas à examiner si j’étais capable de quelque chose. Je ne lui demandai pas de conseils, il m’eût dit qu’il les gardait pour lui-même ; et cela autant par ingénuité de modestie que par ingénuité d’égoïsme ; car il avait sa manière d’être modeste sous