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C’est par lui ou chez lui, je crois, que je fis connaissance avec Emmanuel Arago, un homme qui devait devenir un frère pour moi, et qui était alors un enfant. Je me liai vite avec lui, pouvant me donner avec lui des airs de grand’mère, car il était encore si jeune que ses bras avaient grandi dans l’année plus que ne le comportaient ses manches. Il avait pourtant commis déjà un volume de vers et une pièce de théâtre fort spirituelle.

Un beau matin, Balzac, ayant bien vendu la Peau de Chagrin, méprisa son entre-sol et voulut le quitter ; mais, réflexion faite, il se contenta de transformer ses petites chambres de poète en un assemblage de boudoirs de marquise, et un beau jour il nous invita à venir prendre des glaces dans ses murs tendus de soie et bordés de dentelle. Cela me fit beaucoup rire : je ne pensais pas qu’il prît au sérieux ce besoin d’un vain luxe, et que ce fût pour lui autre chose qu’une fantaisie passagère. Je me trompais, ces besoins d’imagination coquette devinrent les tyrans de sa vie, et pour les satisfaire il sacrifia souvent le bien-être le plus élémentaire. Dès lors il vivait un peu ainsi, manquant de tout au milieu de son superflu, et se privant de soupe et de café plutôt que d’argenterie et de porcelaine de Chine.

Réduit bientôt à des expédiens fabuleux pour ne pas se séparer de colifichets qui réjouissaient sa vue ; artiste fantaisiste, c’est-à-dire enfant aux