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me suivit dans l’antichambre et m’y retint quelques instans pour me développer sa théorie sur l’infériorité des femmes, sur l’impossibilité où était la plus intelligente d’entre elles d’écrire un bon ouvrage (le Dernier des Beaumanoir apparemment) ; et comme je m’en allais toujours sans discuter et sans lui rien dire de piquant il termina sa harangue par un trait napoléonien qui devait m’écraser.

« Croyez-moi, me dit-il gravement comme j’ouvrais la dernière porte de son sanctuaire, ne faites pas de livres, faites des enfans. — Ma foi, monsieur, lui répondis-je en pouffant de rire et en lui fermant sa porte sur le nez, gardez le précepte pour vous-même, si bon vous semble. »

Delatouche a arrangé ma réponse depuis en racontant cette belle entrevue. Il m’a fait dire : faites-en vous-même si vous pouvez. Je ne fus ni si méchante ni si spirituelle, d’autant plus que sa petite femme avait l’air d’un ange de candeur. Je retournai chez moi fort divertie de l’originalité de ce Chrysale romantique, et bien certaine que je ne m’élèverais jamais à la hauteur de ses inventions littéraires. On sait que le sujet du Dernier des Beaumanoir est le viol d’une femme que l’on croit morte par le prêtre chargé de l’ensevelir. Ajoutons cependant, pour rester équitable, que le livre a de très belles pages.

Je fis rire Duris-Dufresne aux larmes en lui racontant l’aventure. En même temps il était furieux et voulait pourfendre son Breton bretonnant.