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et c’est à quoi je me sentais le moins portée.

Je lui observai que les amis étaient trop volontiers éblouis, et qu’il me faudrait un juge sans préventions.

« Mais n’allons pas le chercher si haut, lui disais-je ; les gens trop célèbres n’ont pas le temps de s’arrêter aux choses trop secondaires. »

Il me proposa un de ses collègues à la chambre, M. de Kératry, qui faisait des romans, et qu’il me donna pour un juge fin et sévère. J’avais lu le Dernier des Beaumanoir, ouvrage fort mal fait, bâti sur une donnée révoltante, mais à laquelle le goût épicé du romantisme faisait grâce en faveur de l’audace. Il y avait cependant dans cet ouvrage des pages assez belles et assez touchantes, un mélange bizarre de dévotion bretonne et d’aberration romanesque, de la jeunesse dans l’idée, de la vieillesse dans les détails.

« Votre illustre collègue est un fou, dis-je à mon papa, et quant à son livre, j’en pourrais quelquefois faire d’aussi mauvais. Cependant on peut être bon juge et méchant praticien. L’ouvrage n’est toujours pas d’un imbécile, il s’en faut. Voyons M. de Kératry. Mais je loge sous les toits, vous me dites qu’il est vieux et marié. Demandez-lui son heure. J’irai chez lui. »

Dès le lendemain, j’eus rendez-vous chez M. de Kératry à huit heures du matin. C’était bien